Le Soir - Radouane Attiya, l’expert: «La fonction de l’imam devra être repensée»

Anonyme • 4 avril 2019
Actualité dans le groupe [ARES] Personnel

 PAR E.BL.

Radouane Attiya, directeur de l’Institut de promotion des formations sur l’islam, et ancien imam itinérant, décrypte les enjeux de l’imamat.

Par son parcours et ses multiples casquettes, Radouane Attiya est certainement l’un des plus fins observateurs de l’imamat en Belgique. Ce Belge d’origine liégeoise a étudié le droit musulman à Médine, en Arabie Saoudite. A son retour, il a officié pendant une dizaine d’années comme imam itinérant dans les années 2000. Actuellement, il termine une thèse en philologie orientale à l’ULiège et a été nommé, il y a six mois, directeur de l’Institut de promotion des formations sur l’islam.

Quels sont les différents profils d’imams qui officient en Belgique ?

Tout d’abord, on trouve la catégorie des imams « ratib », à savoir des imams affectés aux tâches rituelles, comme les cinq prières, mais souvent exemptés du prêche. Ils n’ont à leur actif qu’une mémorisation du texte coranique et de quelques connaissances nécessaires. Ceux-là ont longtemps été dominants. Ensuite, on compte des imams qui ont fréquenté des institutions religieuses reconnues comme telles dans leurs états respectifs, qui ont donc des diplômes, qui sont érudits : ces derniers sont ultra-minoritaires. Parallèlement, certains viennent des classes moyennes, ont des parcours académiques dans d’autres branches mais n’ont pas sanctionné un savoir religieux à travers un cursus religieux. Enfin, il existe aussi des imams étudiants, des imams ouvriers, des imams itinérants, des « saisonniers » qui viennent au moment du ramadan, par exemple, etc.

Les statuts des imams présentent également une grande diversité…

Si l’on excepte les imams turcs, fonctionnaires de la Dyanet (le ministère des affaires religieuses turques), la plupart des imams ont vécu sous un régime autarcique, à la merci de leur communauté, avec des salaires très fluctuants, jusqu’à la reconnaissance de l’islam par l’Etat belge. Ils sont encore nombreux à vivre sans aucune stabilité professionnelle et dans une grande précarité. Or, l’imamat est une profession 24 h / 24. Cette saturation en termes de travail tire l’imamat par le bas, empêche les imams de gravir l’échelle sociale, de s’épanouir pleinement. Il est utopique d’exiger de l’imam la production d’un discours en phase avec les valeurs de notre société alors que son moule mental et culturel est un système déconnecté de la réalité.

Quid de ces discours ? On a souvent dit que ce ne sont pas les imams eux-mêmes qui ont « radicalisé » les jeunes…

Il y a eu un avant et un après 11-Septembre. Avant le 11-Septembre, c’était un secret de polichinelle qu’étaient diffusés dans les mosquées des discours musclés, pétris de politique et de religieux. Après le 11-Septembre, compte tenu de la politique sécuritaire de l’époque, on a commencé à faire attention à ce que l’on disait, à édulcorer, lisser les messages. Estimer que seuls les réseaux sociaux ont favorisé la propagation d’idéologies dangereuses auprès des jeunes est donc en deçà de la réalité. On ne peut nier que le discours dominant qui a sévi dans les mosquées pendant au moins deux décennies (les années 80 et les années 90) a structuré le mental de plusieurs communautés : ce sont des discours qui ont contribué à cliver. Ensuite est venu s’adosser à cela l’islam satellitaire, en provenance d’Arabie saoudite. L’absence d’une instance officielle a laissé un espace discursif livré à lui-même, sans contrôle, sans cohérence.

D’où l’importance d’une formation des imams en Belgique, comme on en parle souvent ?

Compte tenu de l’actualité et des drames que nous avons connus, c’est une urgence politique, sociale, culturelle. Néanmoins, l’impact des imams ne doit pas être surestimé. Et il ne faudrait pas croire que c’est le théologique qui va rétablir l’ordre ou pacifier l’espace public. Ce serait faire fi de notre histoire : nos sociétés ont connu leur succès démocratique en expurgeant le religieux en périphérie. En ce sens, ramener le théologique au centre des préoccupations des citoyens musulmans est un non-sens. Mais l’Institut de promotion des formations sur l’islam restera attentif aux projets de formations, et pourra tendre la main, apporter son soutien et créer des partenariats.

Dans l’optique de former de nouveaux imams, l’attrait des jeunes pour la profession se posera également…

Le clivage générationnel va contribuer à une mutation du religieux, étant donné que ces jeunes n’adhèrent plus à une pratique religieuse telle que la conçoivent les premières générations. Par exemple, il est encore inconcevable dans de nombreuses mosquées que l’imam se forme, ait une vie intense sur le plan professionnel et personnel. La fonction de l’imam devra être repensée.