Le Soir - Yvon Englert (ULB): «La proposition du MR pour la fusion UCL/Saint-Louis, c’est le venin de la discorde»

Anonyme • 23 avril 2019
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MIS EN LIGNE LE 20/04/2019 À 12:32     PAR VÉRONIQUE LAMQUIN

Le recteur de l’ULB déplore l’attitude libérale, qui a déposé une proposition de décret visant à régler la seule fusion UCL/Saint-Louis. « Ce n’est pas comme ça qu’on va régler le problème ».

Jeudi, on apprenait que les fusions d’universités n’auraient pas leur texte légal sous cette législature, PS et CDH ayant échoué à sortir de leur crise de majorité sur le sujet. Exit, donc la fusion UCL-Saint-Louis ? Vendredi, le MR faisait « offre de services », en déposant une proposition de décret réglant le seul sort du pilier chrétien – le rapprochement ULB/Ihecs étant géré « ultérieurement ». Un geste libéral à l’égard de l’université louvaniste fort peu apprécié en terre ulbiste. « Cela revient à répandre le venin de la discorde pour des années voire des décennies », s’inquiète le recteur, Yvon Englert.

Le MR écrit un nouvel épisode de la saga opposant l’UCL et l’ULB ?

Depuis deux ans et demi, c’est-à-dire depuis que l’UCL a annoncé sa volonté de fusionner avec Saint-Louis, la dynamique universitaire a été fortement perturbée, la complicité entre les recteurs est cassée. C’est l’un des problèmes qu’il va falloir résoudre. Les universités sont destinées à être des partenaires, qui ont ensemble une mission sociétale, et ne sont pas des concurrents, comme le seraient des entreprises privées, qui cherchent à accaparer des parts de marché. C’est un élément essentiel de la tension qui règle actuellement, à Bruxelles, entre l’ULB et l’UCL.

Le projet de fusion UCL/Saint-Louis remet tout cela en cause ?

C’est une évidence. C’est une attaque frontale par rapport à la philosophie du décret paysage. L’objectif doit être de maintenir les collaborations, de rester des partenaires, de respecter les besoins et les territoires de chacun. Le décret paysage, que l’on peut critiquer, fixe un cadre pour permettre une relation apaisée entre les universités. La réussite de la réforme du financement des universités, acquise en consensus, a été le symbole que le décret permettait ça.

On est loin de cette harmonie ou de ce consensus, aujourd’hui…

Pour gérer cette offensive de l’UCL sur Bruxelles, que nous continuons à considérer illégitime sur le fond, notre position a été d’essayer de sortir par le haut en sauvant ce qui est essentiel. D’une part, la philosophie de collaboration doit prévaloir sur la logique de concurrence ; d’autre part, nous devons économiser nos faibles moyens, nous avons suffisamment dit que nous avons trop de mal, économiquement, et que nous sommes en position d’infériorité par rapport aux collègues internationaux. Nous devons avoir le courage d’éviter les concurrences stériles et préserver autant que possible l’équilibre bruxellois. Je rappelle que l’UCL a reçu une ville entière en Région wallonne, qu’elle a de grandes surfaces pour faire de beaux projets avec les Chinois, c’est très bien. Pour l’ULB, deux pôles sont essentiels, où nous sommes implantés et où nous nous développons : d’abord Bruxelles puis Charleroi. Depuis une bonne année, on était proches d’une solution. L’ULB a fait preuve d’imagination et de souplesse, en mettant sur la table des solutions alternatives, des propositions pour maintenir l’équilibre tout en tenant compte des priorités du partenaire. Mais il faut être deux pour conclure. Et sortir de l’idée qu’on peut avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.

Vous visez la proposition du MR ?

Elle donne une impression de « il n’y a qu’à ». Leur proposition de décret ne respecte aucun des objectifs que j’ai évoqués. Elle n’a fait l’objet d’aucune concertation. Elle arrive à deux semaines de la fin de la législature.

Le texte vous pose surtout problème parce qu’il ne prévoit que la fusion UCL/Saint-Louis, sans y lier le rapprochement entre l’ULB et l’Ihecs ?

L’avant-projet de décret Fusion, tel qu’envoyé au conseil d’Etat prévoyait une série de mesures qui équilibraient le deal. Il n’y avait pas que l’Ihecs, même si le lien imposé entre les deux dossiers était une manière d’assurer l’équilibre sur Bruxelles. Le texte prévoyait aussi la réorganisation des habilitations, certains éléments de financement… C’était un package assez équilibré, qui n’était pas loin d’aboutir. Je suis d’ailleurs assez optimiste sur le fait que, dans le début de la prochaine législature, on pourra assez vite aboutir. Mais ce n’est pas « il n’y a qu’à »

Ce que le MR laisse penser ?

Satisfaire l’un des partenaires sans réfléchir plus avant, ce n’est pas acceptable pour nous et surtout ça va à l’encontre du premier objectif, c’est-à-dire privilégier la collaboration et non les concurrences, et préserver et l’avenir des relations entre les universités. Leur texte répand le venin de la discorde pour des années voire des décennies. Alors que l’ULB et l’UCL ont d’autres challenges à relever que celui de s’épuiser dans une guerre fratricide. Il faut accepter que sortir par le haut de cette crise implique un effort des deux universités. Vendredi matin, on nous a présenté un rapport sur l’impact du Brexit pour les universités ; l’axe retenu était celui des réseaux européens. Il en ressort que les principaux partenaires de l’UCL, de l’ULB, de l’université de Liège, ce sont les deux autres. C’est ça qu’il faut préserver. Sinon, on crée un risque majeur à long terme, de dédoublements de cours, de concurrences sur les étudiants, de gaspillage des deniers publics, ce n’est pas comme ça qu’on va résoudre le problème.

Cela tend davantage encore la situation sur le terrain universitaire bruxellois ?

C’est semer les éléments d’un conflit de longue durée. C’est une vision qui ne me paraît pas correspondre à ce que doit être l’intervention de l’acteur public pour favoriser le développement d’universités, avec tout ce que cela a d’essentiel dans une société post-industrielle comme la nôtre et dans un contexte de restrictions financières majeures.

Ces dernières années, rien ne va plus, entre le MR et l’ULB ?

Il faut poser la question au MR.

Et à vous…

Je vois deux choses, sous cette législature, qui auraient pu irriter le Premier ministre mais je pense qu’il est au-dessus de ça et je crois qu’il a autre chose à penser. Ma lettre ouverte sur le secret professionnel mais la Cour constitutionnelle a annulé la mesure, ma démarche n’était donc peut-être pas dénuée de fondement. Et, après le décès de la petite Mawda, j’ai cosigné avec les autres recteurs, tous, au nord comme au sud du pays, une lettre par rapport à la façon, que nous jugions choquante, de gérer le respect des personnes. Je n’ai pas le sentiment d’être entré sur le champ du politique. Je pense que je suis resté dans ce qui relève de la responsabilité sociétale d’un recteur d’université dans un moment difficile par rapport aux valeurs, et d’avoir joué un rôle légitime dans le débat public. Il n’y avait rien là-dedans qui était dirigé contre le MR. Sauf peut-être la sortie contre l’enterrement de la loi IVG. Mais ça c’est quasi l’ADN de l’ULB.