RTBF - "L'empathie est l'essence du soin ; c'est le souci qu'on a de l'autre"

Anonyme • 10 octobre 2019
Actualité dans le groupe [ARES] Personnel

Dans la société individualiste qui nous caractérise, l’empathie est souvent mal comprise ou confondue avec d’autres sentiments qui peuvent nous traverser. En milieu médical, l'empathie est essentielle, oui, mais jusqu’où ? Analyse dans le 3e numéro de Ethica Clinica, une nouvelle revue qui fait le lien entre les questions d’éthique et le monde médical. 

"L’éthique, c’est l’art d’interroger les choses, de prendre conscience que les choses ne vont pas de soi. C’est cette démarche par laquelle on essaie de faire apparaître les enjeux", explique Jean-Michel Longneaux, philosophe et rédacteur en chef de la revue Ethica Clinica. 

Dans le cas du milieu médical, l'éthique a pour but d'aider les soignants à assumer leurs responsabilités dans les marges de manoeuvre qui s’ouvrent à eux, à assumer des décisions qu'ils savent parfois être mauvaises, parce qu’il n’y a plus de bonne solution, dans le cas de soins palliatifs par exemple. Il faudra trancher et quoi que l'on fasse, la solution ne fera pas nécessairement plaisir à tout le monde.

Pour les soignants, l’éthique sert à prendre de la distance ainsi qu'à ouvrir un espace de discussion. C’est donc dans une démarche préventive que l’éthique peut être développée. 

 

La notion d’empathie

Le thème de l'empathie en milieu médical pose beaucoup de questions, en particulier celle de savoir si elle ne va pas polluer la relation de soin et compliquer les choses.

Il est très difficile de définir ce qu’est l’empathie. Elle est différente pour le psychologue, pour le neurologue, pour le philosophe… Il semblerait que l’empathie soit une posture qui se trouve entre deux extrêmes : d’un côté, l’indifférence (que suscite le cadre professionnel par exemple) et de l’autre, la souffrance avec la personne, la sympathie, la compassion, la confusion avec l’autre, explique Jean-Michel Longneaux.

L’empathie, c’est une posture, que l’on peut adopter ou apprendre, qui consiste à ressentir ce que l’autre ressent, mais sans se confondre avec lui, sans en souffrir avec lui. On reste à distance, on comprend ce que la personne vit et on peut commencer à aider s’il faut aider, on est disponible pour prendre des décisions, on reste tout simplement professionnel.

L’empathie est quelque chose que l'on prépare, que l'on organise. Dire qu’on est trop empathique, veut sans doute dire qu’on n’est plus dans l’empathie, qu’on a dépassé cela et qu’on est en train de souffrir avec l’autre, précise Cécile Bolly (UCL), membre du comité de rédaction de la revue.

"Un soignant qui pleure pour un patient ne doit toutefois pas être jugé. C’est parfois comme cela que le patient va se sentir vraiment rencontré, mais cela ne doit pas être fait systématiquement. Le soignant peut bien sûr dire sa tristesse et partager son émotion, mais la plupart du temps, il doit quand même essayer de dépasser cela. C’est vraiment un travail, il faut vraiment être très attentif avec l’empathie."

 

L'empathie, innée ou apprise ?
Tout le monde peut développer cette capacité d'empathie, mais précisément, cela se développe, affirme Jean-Michel Longneaux. L'art par lequel on essaie de pouvoir prendre de la distance par rapport aux autres et par rapport à soi-même, c'est du travail, de l'éducation. 

C'est un savoir-faire qui s'acquiert, d'abord par le langage tout simplement, pour pouvoir nommer ce que l'on vit soi-même, pour ainsi le mettre à distance, puis le dépasser ou en faire quelque chose.  


Trop d'empathie ?
On met beaucoup l'accent aujourd'hui sur la notion de partenariat patient/soignant, par opposition au paternalisme en vigueur très longtemps. Ce partenariat donne tous les droits au patient, avec qui il faut être en harmonie, qu'il ne faut pas blesser, etc... Le discours ambiant donne le consentement et la décision au patient.

Mais on constate que cela insécurise certains patients qui attendent de leur soignant qu'il sache pour eux et qu'il prenne la décision sur le meilleur traitement à appliquer. Ce partenariat installe un déséquilibre dans la relation. 

Cette distance permet de pouvoir s'adapter en fonction des circonstances. L'empathie est le régulateur qui permet de survivre à cette diversité dans laquelle les soignants se trouvent aujourd'hui.


Le monde médical doit-il faire preuve d’empathie ?
Dans la formation médicale, on est de plus en plus ouvert à l'idée de l'empathie, que ce soit dans les écoles d'infirmier.e.s ou dans les facultés de médecine, où on amène la notion de subjectivité. On essaie d'aider les futurs soignants à comprendre qu'ils vont devoir aussi prendre soin d'eux pour pouvoir être complètement disponibles pour bien prendre soin des autres, explique Cécile Bolly.

On peut être empathique et ne pas faire ce que le patient souhaite qu'on fasse, si on estime que ce n'est pas bon pour lui. Professionnellement, cela a du sens, et c'est toujours dans le respect de l'empathie. Le statut crée une distance. Il ne faut pas confondre l'empathie avec l'idée que le soignant doit correspondre à ce qu'on attend de lui. Le danger est de tomber dans le besoin d'être aimé par les patients que l'on soigne.

L'apprentissage de l'empathie permet de ne pas tout soumettre aux émotions. L'empathie bien comprise, c'est pouvoir prendre de la distance et rester avec le patient même s'il est dans l'émotion.