INFO - MediQuality VMC - L’examen d’entrée, cette hérésie défendue contre toutes évidences scientifiques

Anonyme • 8 août 2018
Actualité dans le groupe [ARES] Personnel

L’examen d’entrée, cette hérésie défendue contre toutes évidences scientifiques

BRUXELLES, 06/08 - C’est un sujet qui revient sur la table chaque année, lors de la passation de l’examen d’entrée par les « futurs ex-étudiants » médecins et dentistes. Chaque année, une question est soulevée par les proches des étudiants et, en règle générale, par les personnes s’intéressant à l’actualité: l’examen d’entrée en médecine est-il vraiment un bon système de sélection ? Peut-on réellement sélectionner les futurs meilleurs médecins à l’entrée des études ?

Non. C'est la conclusion qu'on peut en tirer en regard de la littérature scientifique internationale ayant étudié extensivement ce système de sélection dans divers pays. En effet, une sélection à l'entrée n'est pas capable de sélectionner les futurs meilleurs médecins, lesquels, au moment de la passation, n'ont d'ailleurs pas encore pu i) prouver leur motivation à l'étude des sciences médicales et ii) exprimer leurs aptitudes de terrain. Ainsi, bon nombre de candidats pourtant voués à un bel avenir en médecine sont arrêtés chaque année sur base de leurs acquis en sciences fondamentales, ou sur base de questions dites d'éthique, posées à des gamins de 18 ans qui n'ont encore jamais vu et ausculté un seul patient. 

Pourtant pour beaucoup d'individus (certains étant même dans le monde académique), le raisonnement est facile: on accueille moins d'étudiants, on les forme bien, et ils deviendront indéniablement de meilleurs médecins car façonnés par des études de médecine de qualité. 

Or, la réalité en est tout autre et le futur médecin n'est pas seulement façonné par ses études, il l'est par ses expériences de vie, son éducation, ses origines socio-culturelles, les épreuves qu'il a vécues dans sa vie et celles qui vivra dans ses études. Ainsi, selon diverses études, la qualité du futur médecin résiderait davantage dans ses aptitudes noncognitives (communication, empathie, altruisme) que dans son bagage scientifique fondamental (physique, chimie, mathématique et biologie) (1-4). 

Bien entendu, le bagage scientifique fondamental peut faciliter l'apprentissage des sciences médicales mais est-il réellement nécessaire de sélectionner dessus et, à travers lui, de sélectionner l'étudiant sur le niveau de son école secondaire ? Une telle sélection ne laisse que peu de chance aux jeunes qui sont issus de moins bonnes écoles alors qu'ils ont, tout autant que les autres, les capacités de devenir médecin. De tels propos sont étayés par une enquête réalisée par le CIUM en 2014 qui démontrait que plus de 50% des étudiants ayant réussi leur première année de médecine d'emblée (sans redoublement) avaient échoué à l'examen d'entrée indicatif (malgré qu'ils avaient réalisé une préparation sérieuse). 

Les aptitudes scientifiques médicales ainsi que les aptitudes techniques (pour les chirurgiens) sont importantes pour la qualité du futur médecin mais chaque jeune peut les acquérir tout au long de son cursus. Par contre, alors qu'elles sont pourtant très prédictives de la qualité du futur médecin, les aptitudes non cognitives sont beaucoup plus difficiles à acquérir et à façonner durant les études (1). Pire, dans un livre publié il y a maintenant une décennie, le médecin sociologue Américain Donald Barr a observé que les étudiants qui performaient le mieux à l'examen d'entrée étaient souvent déficients en matière d'aptitudes non cognitives et n'avaient pas la carrière escomptée (1,5).

 Si la sélection était réellement nécessaire et justifiée (si notre pays n'était pas touché par une pénurie), comment pourrait-on l'organiser ? Quel système serait le plus adéquat pour sélectionner les futurs médecins ? 

Un tel système devrait mettre en avant la motivation intrinsèque, l'intelligence émotionnelle, les aptitudes noncognifitives et, ensuite, permettre à chaque étudiant de faire ses preuves (sciences médicales et aptitudes techniques) quel que soit son école et son milieu d'origine. Le système proposé il y a quelques années qui évaluait l'étudiant sur les cours de médecine au terme de la première année se vouait plus pertinent en regard des différentes preuves étayées dans la littérature scientifique. Une autre étude réalisée sur des cohortes d'étudiants de l'ULB suggère également que la réussite des étudiants dans les cours de sciences médicales est davantage prédictive que la réussite au terme de l'ex-première année dont le programme était composé des sciences de bases (6). 

En 2016, sous l'impulsion de Philippe Maystadt, l'ARES a lancé un vaste chantier de réflexion sur l'organisation de l'enseignement supérieur. Une des idées phares ressortie de cette réforme consistait en l'organisation de 4 ou 5 bacheliers généraux, flexibles, permettant l'accès à divers masters et ce, en fonction des crédits acquis durant le bachelier. Ainsi, un étudiant souhaitant entamer l'école de médecine (master) devrait avoir valorisé un nombre minimum de crédits (cours de biologie, physiologique) tout en pouvant réaliser un bachelier en ingénierie ou un bachelier des sciences du vivant, lesquels pouvaient également lui donner l'accès aux sciences biomédicales, ingénierie, vétérinaire ou dentaire. Ce système, nous ne l'avons pas inventé, il existe déjà dans les pays anglo-saxons (USA). Il est à la base de la formation de médecins qui ne sont pas tous « configurés » de la même façon et qui, par leur formation de base, réfléchissent différemment, développent des raisonnements et projets transversaux faisant appel à diverses notions issues d'horizons différents.

Si sélection il devait y avoir, la réorganisation générale des études supérieures en bachelier généraux permettrait aux étudiants de conditions modestes ou issus de mauvaises écoles de s'adapter au supérieur, de développer leurs aptitudes scientifiques médicales, et de postuler à l'entrée de l'école de médecine (master) en étant déjà plus armés qu'à l'entrée même de l'Université. En cas d'échec, l'étudiant aurait la possibilité de valoriser ses trois années via l'entrée dans un autre cursus. Cette réorientation sans réel échec pourrait même s'imaginer dès la première année du bachelier général où, se découvrant un attrait pour d'autres matières, l'étudiant pourrait réussir sa première année, valoriser un maximum de ses crédits, et entrer dans une seconde année répondant davantage à ses ambitions. Un tel système lutterait contre l'échec, et mettrait de la diversité dans nos professionnels de la santé. 

Des pistes de solutions pour améliorer nos systèmes de sélection et de formation des futurs médecins, il en existe autant qu'il existe d'êtres humains sur terre. Le premier point essentiel dans ce débat, en tant que médecin, professionnel de la santé étant le garant de l'efficacité de notre système de soins de santé, c'est de défendre une sélection si celle-ci est vraiment nécessaire pour la population. 

Le second point essentiel dans ce débat, en tant que médecin, professionnel de la santé étant censé appliquer et respecter d'Evidence-Based Medicine, c'est de proposer un système qui, en regard de la littérature, permettra réellement de former de bons médecins sans écarter de futurs excellents médecins sur base de leurs acquis en sciences fondamentales, de leur origine, et du niveau de leur école secondaire. 

A propos de l'auteur

Jerome R. LECHIEN, MD, PhD, MSc.

Otolaryngology - Head and Neck Surgery - CHU de Bruxelles, ULB

Department of Anatomy and Experimental Oncology - UMONS

Department of Langage Sciences - UMONS

International Federation of Oto-rhino-laryngological Societies 

(Young Otolaryngologists - IFOS)  

Research Committee - Vice Chairman

Références

1. Barr DA, Lancet, 2010. 

2. Roman SA, 1979 

3. Strayhorn G, 1989 

4. Wright SR, 2010 

5. Questioning the premedical paradigm, Donald A. Barr, MD, PhD. 

6. Lechien et al., Int J Med Educ, 2017.

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