Lesoir - Pédagogie/inclusivité de l'enseignement - Des solutions pour les « intelligences atypiques »

Anonyme • 22 octobre 2018
Actualité dans le groupe [ARES] Personnel

 PAR MARIE THIEFFRY

En Fédération Wallonie-Bruxelles, plus de 85.000 élèves souffriraient de troubles de l’apprentissage. Parmi eux, certaines « intelligences atypiques » qui ont besoin d’une méthode ’apprentissage différente. Hyperactifs, dyslexiques, Asperger, hauts potentiels… Ils sont désormais davantage reconnus.

 

C’est l’heure ! Tout le monde met son GSM dans le panier ! », lance Dinah Mizrahi, directrice de l’école Saavutus à Genval. La jeune femme passe dans les rangs de la classe composée d’une petite dizaine d’élèves, assis en demi-cercle devant le tableau noir. Après le brouhaha de la pause, chacun dépose en silence son téléphone dans le petit panier prévu à cet effet. Parmi eux : Antonin, 16 ans, diagnostiqué « haut potentiel » et Eléonore, 17 ans et dyslexique. Ils viennent d’intégrer l’établissement après un parcours scolaire assez chaotique. « J’ai toujours eu un peu de mal avec l’école, glisse la jeune fille. Ça ne me convenait pas trop. Il y avait trop de monde, ça allait trop vite, ça partait dans tous les sens. Depuis que je suis ici, les cours m’intéressent davantage. On prend le temps d’aller au fond d’une matière, une par jour. C’est plus convivial. On a envie de se dépasser et de l’avoir, ce CESS (certificat d’enseignement secondaire supérieur). »

Alors que commence le cours de mathématiques, la concentration règne. Fondé il y a dix ans par cinq professeurs, cet établissement accueille aujourd’hui 75 élèves. Avec sa méthode entre enseignement et coaching, Saavutus conduit ses élèves au CESS via le jury, général ou professionnel.

« Ce n’était pourtant pas gagné d’avance, souffle Dinah Mizrahi en refermant la porte de la classe, désormais studieuse. Aucun de ces jeunes n’entre dans le cadre scolaire dit “classique”. Ils sont tous neuro-atypiques. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas intelligents. »

Selon la directrice, 85 % des jeunes trouvent dans le système classique d’enseignement le moyen de s’épanouir et de réussir, avec plus ou moins de facilités. « Cette majorité fonctionne avec un des deux types d’intelligence valorisée dans ce cadre traditionnel : l’intelligence logico-mathématique et la verbale-linguistique. Mais il reste 15 % de jeunes atypiques qui risquent de décrocher du système classique, car il ne convient pas à leur manière d’apprendre. »

Des « intelligences atypiques »

« Porteuses d’une façon d’envisager le monde avec un cerveau qui ne fonctionne pas tout à fait comme celui des autres, ces personnes rencontrent souvent des difficultés dans les relations sociales, sont dotés d’une hypersensibilité émotionnelle, parfois d’une hypersensorialité ou d’une capacité phénoménale à mémoriser les moindres détails d’un sujet qui les intéresse », explique la psychologue Séverine Leduc. Elle vient de publier avec le docteur David Gourion Eloge des intelligences atypiques« Ces particularités neuro-développementales entrent dans le champ de l’autisme, mais pas uniquement. Dotés d’un cerveau hyperconnecté, ces neuro-atypiques ont des capacités différentes des neuro-typiques, considérés comme la norme. »

Parmi ces élèves : des Asperger légers, mais aussi des « dys- » (dyslexique, dyscalculique, dyspraxique…), des hauts potentiels, des troubles déficitaires de l’attention, porteur ou non d’une hyperactivité (TDA/H)… « Cette différence n’est plus vue comme un défaut, observe la psychologue. C’est le concept de “neuro-diversité”, très récent dans la recherche, qui a permis de revaloriser cette différence. » L’experte rappelle les noms de Glenn Gould, de George Lucas ou de Mark Zuckerberg, ayant tous trois le syndrome d’Asperger, mais aussi de Serena Williams, Jamie Oliver ou Jim Carrey, atteints d’un déficit de l’attention (TDA/H).

Un enseignement semi-individualisé

Pour tenir compte de ces différences multiples, l’école Saavutus a repensé l’apprentissage sur la semaine. « Lorsque vous avez un TDA/H, rester assis sur une chaise pendant six heures ne sert à rien, explique Dinah Mezrahi. Ici, malgré la variété des profils, nous fonctionnons sur de petites classes d’une dizaine d’élèves. Il y en a sept dans l’établissement. C’est la première clef : offrir un enseignement semi-individualisé, qui les valorise et travaille leur estime de soi, sans pour autant les sortir d’un système qui reste la norme. » Autre clef : l’unité de temps et de lieu. « Un jour = un cours = un prof, poursuit la directrice. Lundi par exemple, ils ont des cours de français toute la journée avec le même professeur. Mardi, mathématiques. Mercredi, sciences… De quoi assurer leur concentration sur une journée ponctuée de bonnes pauses. »

Cet enseignement a toutefois un coût. L’école privée n’est pas la seule solution. La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), qui permet à ces profils de passer les épreuves externes adaptées, a publié en 2017 le décret « aménagements raisonnables ». Lequel propose des ressources pédagogiques pour les enseignants : une série de « fiches outils » avec des solutions pour chaque trouble identifié. Parmi ces outils pratiques soutenus par la FWB, le projet « Numabib », une véritable bibliothèque numérique des manuels scolaires utilisés dans l’enseignement obligatoire. Les documents numérisés permettent ainsi à certains élèves de lire plus facilement, d’écouter davantage, de prendre des notes rapidement. « Outre ces outils pratiques, le projet du pacte d’excellence prévoit d’augmenter le travail en petits groupes, explique le porte-parole de la ministre de l’Enseignement Marie-Martine Schyns (CDH). Des heures spécifiques consacrées à cet enseignement plus individualisé sont prévues dans la grille horaire. L’idée : permettre de travailler davantage avec chaque élève. Ainsi, ces profils “atypiques” pourront être mieux identifiés et inclus. De manière générale d’ailleurs, l’école se veut toujours plus inclusive. »

 MARIE THIEFFRY